mardi 31 août 2010

Exposition Kimura -Vernissage le jeudi 9 septembre de 18h à 20h

Exposition du 10 septembre au 16 octobre 2010
Vernissage le jeudi 9 septembre de 18h à 20h

Depuis son ouverture en 1993, la galerie Camera Obscura s'est consacrée à la photographie.
Elle est devenu depuis l'une des références en la matière, et d'aucuns seront étonnés de voir que nous présentons aujourd'hui une exposition de Chuta Kimura, artiste
peintre.
Plusieurs raisons à cela, mais la plus décisive, bien que peu rationnelle, est tout simplement une passion pour cette oeuvre. Et un espoir que le public de la galerie sera conquis
par la beauté des toiles de Kimura, comme nous l'avons été, et comme l'ont été dans leur temps des personnalités aussi diverses et éminentes que Jean Grenier, Germain Viatte ou Arthur Coleman Danto, critique et philosophe américain qui écrit en 2003 :
«La première oeuvre de Chuta Kimura que j’ai vue était reproduite sur la couverture du catalogue de l’exposition de Washington (Kimura. The Phillips Collection, 1984).
La vue de cette oeuvre m’a procuré une de ces émotions rares que l’on espère avoir dans le métier de critique d’art, où le regard s’abreuve soudain d’une beauté à laquelle aucune peinture ne l’avait préparé. C’était comme une vision d’un réel dont il serait impossible de se lasser.

On ressent le rayonnement d’une joie véritablement religieuse dans son oeuvre, à coté duquel les plaisirs ordinaires de la vie, fût-elle heureuse, n’ont aucun poids. La relation de Kimura avec son art se rapproche sans doute de cette union extasiée avec une réalité éblouissante dont on parle parfois dans les textes mystiques.

Le critique Denys Sutton décrit ainsi la réaction de Kimura à une question qu’il lui avait posée sur ses motivations : «Il a bondi de sa chaise, a pris une posture de boxeur, et dans un grand éclat de rire, a déclaré que l’artiste devait attaquer son sujet avec rage». Il traitait la peinture comme une chose vivante. Il traitait les surfaces comme s’il fallait les ouvrir pour laisser pénétrer la vie, la lumière, la couleur et l’air pur.»
Athur C. Danto
(Extrait de"Kimura", catalogue de l'exposition à l'Hôtel des Arts, Toulon, 2003)


Chuta Kimura est né au Japon en 1917 (NB. On écrit parfois "Tchuta" ou "Tshuta", ce qui est phonétiquement plus proche du japonais, mais la transcription correcte est "Chuta").
Sa rencontre avec la peinture occidentale (Bonnard en particulier), a été un tel choc qu'il a souhaité habiter et peindre en France, rêve qu'il réalise en 1953 en s'installant à Paris avec
son épouse Sachiko. Il y demeurera jusqu'à sa mort en 1987.
Jacques Zeitoun, directeur de la galerie Art Vivant, remarque très tôt le travail de Kimura, qu'il commence à exposer dès 1954. Il lui propose un contrat lorsqu'il ouvre la galerie Kriegel en 1964, où il l'exposera régulièrement jusqu'en 1977.
En 1962, Kimura fait la connaissance de Jean Grenier. Rencontre importante. Cet écrivain,
professeur de philosophie (il eut Camus pour élève à Alger), occupe la chaire d'esthétique
et de science de l'art à la Sorbonne. Il est fasciné par ce "peintre Zen en Ile de france" (cf.
texte du catalogue de la galerie Kriegel, 1967). Une amitié les liera jusqu'à la disparition de
Jean Grenier qui écrivit plusieurs textes sur Kimura. En voici deux courts extraits :
"On voudrait pouvoir situer Kimura dans l'histoire et la géographie de la peinture. C'est
bien difficile ! Il dit avoir été intéressé par Matisse, Monet, Corot, Seurat et même Vermeer.
Il se réclame de Bonnard comme de quelqu'un qu'il aime et qu'il admire. Et c'est vrai qu'il
a une parenté avec lui. Il a appris avec lui à décomposer le prisme lumineux. Mais Bonnard
est un doux, Kimura un violent."
«L’ordre est rompu, une grande bataille se livre entre les éléments et entre les couleurs. C’est que l’artiste a pris conscience des forces sous-jacentes de la Nature....
Toute son ambition est de dire, et il y réussit maintenant au-delà de ce qu’il pouvait espérer, la magnificence des choses à travers leur tumulte.»
Jean Grenier

Kimura est un peintre exigeant, entier, totalement consacré à son art : durant les quarante quatre années passées en France, il n'apprendra pas la langue, se reposant entièrement sur son épouse pour toutes les questions pratiques (c'est elle qui prend l'initiative d'aller montrer son travail à la galerie Art Vivant, quelques mois après leur arrivée en France).
Après avoir découvert Paris et sillonné l'Ile de France en vélo, Kimura et son épouse, dès qu'ils
le peuvent, prennent la route vers le sud de la France. Il retrouve dans le midi une nature qui lui
rapelle sa région natale de Takamatsu.
Et la nature est précisément son grand thème, son inspiration. Durant l'été 1967, un ami lui prête
une petite maison située dans un vaste jardin sauvage, à la Roquette-sur-Siagne : le Clos Saint-
Pierre. Kimura était à ce moment là dans une période difficile de doute et de neurasthénie :
l'immersion dans cette nature débordante de vie est une renaissance pour Kimura qui se met à
dessiner intensément.
Dorénavant, et jusqu'à sa mort, il passera les mois de mai à septembre dans ce jardin, dessinant
pour fixer la lumière autant que les formes ("Le dessin est un processus par lequel la lumière
s'imprime dans mon âme").
Rentré à Paris, dans son atelier de Montparnasse (Il occupe celui d'un de ses anciens compatriotes
: Foujita) il passe le reste de l'année à peindre, utilisant ses dessins comme référence.
A son arrivée en France, la visite des musées l'avait bouleversé et convaincu de l'insuffisance de
sa technique : son désir d'utiliser la transparence de l'huile pour donner "de la chair et du sang"
à sa peinture l'avait entrainé vers une longue recherche.
Akihiro Nanjo, l'un des meilleurs connaisseurs de l'oeuvre de Kimura (il l'a intensivement montrée dans la galerie "Art Yomiuri", qu'il dirigeait dans les années 80) décrit ainsi la technique de travail de Kimura :
"Avec une page de carnet de croquis punaisée près de sa palette comme référence, Kimura trace
sur la toile les premiers éléments d'un paysage avec un pinceau fin. Puis tout commence.
Sur la toile verticale, il applique de vigoureux coups de brosse. Ensuite, une nouvelle couleur est
étalée au couteau, formant une large surface qui absorbe les figures. Un autre geste large et rapide,
à la brosse, crée des vagues de tons qui se mèlent à la surface de la toile, révélant la couche
inférieure à travers des opacités inégales. Des touches de formes géométriques et de nouvelles
figures sont réintroduites, se mélant et amenant la profondeur dans l'espace de la toile. Dans une
phase finale, une couleur dominante peut l'envahir en grande partie. Cette façon de peindre prend du temps car la couleur doit être étalée sur une surface qui a séché. Dans certains cas, une couche pigmentaire trop épaisse peut être grattée pour révéler la couche inférieure qui est alors lavée à l'eau savoneuse et maintenue en réserve. Kimura travaille simultanément sur plusieurs tableaux dans une journée. Chaque toile met en général quelques mois pour être menée à terme."
Après le décès de Kimura, la galerie Art Yomiuri ferme ses portes à Paris et son travail sera essentiellement montré au Japon.
Depuis 2003, plusieurs expositions (Hôtel des Arts de Toulon, galerie Nicolas Deman à Paris) ont
permis de revoir les toiles,les pastels et les dessins de Kimura en France. Avec notre exposition,
nous sommes heureux de contribuer modestement à cette redécouverte.
A l'automne 2009 est paru aux éditions Lienart un livre conçu par Satchiko Kimura comme une
promenade dans les oeuvres que le Clos Saint-Pierre a inspiré à Kimura. Cette exposition veut
être un hommage à ce chant de la nature et au magnifique livre dont il est la source.

Didier Brousse